Fleur de Loire, Blois

Circuits courts, agriculture biologique, pêche locale et durable, permaculture sociale… Le chef doublement étoilé a développé un tout nouveau concept autour de sa gastronomie : le « terroirisme ». Cet amoureux de la Loire s’est imposé une ligne de conduite exigeante en écartant les poissons d’eau de mer et en travaillant des espèces du fleuve jusqu’ici peu mises en valeur sur les tables étoilées.

Pour comprendre l’amour des produits et les engagements environnementaux de Christophe Hay, il faut remonter à son enfance. Un père boucher, des grands-parents agriculteurs dans le Loir-et-Cher : sur la table familiale ne se trouvaient quasiment que des produits de la ferme. Cette période l’a profondément marqué, à la fois dans son approche du travail et de la cuisine. Il se souvient avoir vu ses grands-parents se démener pour maintenir à flot leur petite exploitation, et surtout les avoir observés avec effarement, dans les années 1980, en train de jeter du lait à l’égout en raison d’excédents sur leurs quotas laitiers. Le petit Christophe n’avait que 9 ans et ce jour-là, il a su qu’il travaillerait en cuisine.

A l’adolescence, le jeune homme se réfugie dans la nature. Il passe beaucoup de temps à pêcher sur les étangs et les lacs de la région Centre. « J’y trouvais beaucoup de sérénité. Je suis admiratif de ce que l’eau peut apporter. » Il apprend à connaître les poissons d’eau douce en participant à des concours de pêche et devient même champion cadet à l’âge de 14/15 ans.

Après avoir suivi les cours du lycée hôtelier de Blois, il intègre le restaurant « Au rendez-vous des pêcheurs » du chef Eric Reithler, ancien de chez Guy Savoy. Il y apprend la rigueur d’une maison étoilée, et le travail du poisson, qui composait 80 % de la carte. Il améliore ses connaissances techniques autour de ce produit : « j’ai toujours préféré travailler le poisson à la viande. Le désarêtage, la cuisson… les gestes sont plus techniques. Et puis je suis conscient que beaucoup de gens ne mangent du poisson qu’au restaurant. »

A côté des poissons de mer, l’établissement proposait également des poissons locaux. « A l’époque, on travaillait le sandre, le brochet, mais tout le reste partait au tas de fumier. En revanche, dans la gastronomie familiale, on dégustait bien d’autres espèces comme le gardon, la friture, le brême, la tanche, la carpe farcie. »

Etonnamment, il poursuit sa découverte des poissons locaux… aux Etats-Unis ! Au début des années 2000, il est envoyé à Orlando en Floride par Paul Bocuse pour ouvrir un restaurant. « J’aurais pu tomber dans la facilité en faisant de l’import et en cuisinant des poissons français, mais je me suis intéressé aux espèces locales, des poissons tropicaux et de lac tels que la carpe et le blackbass. »

Cette expérience américaine le sensibilise également à de nouvelles pratiques agricoles, tel que le maraîchage en hydroponie. De retour en France, en 2007, il exerce dans trois hôtels de luxe parisiens, dont l’Hôtel de Serres, adossé au George V. Le végétal issu de l’agriculture biologique tient une part importante dans cet établissement avant-gardiste. Il dispose de son propre potager, près d’Evreux, où il recrute un maraîcher. « J’ai toujours cherché les gens investis qui font les choses bien. »

En 2014, son ancien patron Eric Reithler l’informe qu’un restaurant est à vendre dans la petite commune de Montlivault, entre Blois et Chambord. Christophe le reprend et ouvre La Maison d’à côté, avec son épouse Emmanuelle, où il décrochera sa première étoile dès 2015. Il y conserve la philosophie développée dans ses établissements précédents et fait la part belle au végétal. « Nous avions un petit jardin de 3 000 m² où nous produisions nos légumes, et puis très vite, les petits papys des alentours m’ont proposé leurs terres. »

En revenant dans sa région, Christophe renoue avec un autre élément, l’eau, et son fleuve de cœur : la Loire. « Rendez-vous compte ! C’est le seul fleuve sauvage d’Europe, il n’est entravé par aucun barrage. Et il est classé patrimoine mondial de l’UNESCO depuis l’an 2000. »  Le chef fait honneur aux espèces de poissons locales en les mettant à la carte : « très vite, j’ai enlevé les poissons de mer, je me suis concentré sur ceux de Loire. Il a fallu observer le fleuve, et j’ai eu la chance de rencontrer un pêcheur avec qui je travaille toujours : Sylvain Arnoult. Ensemble, nous avons décidé de ne plus faire de tri dans ce que la Loire nous offrait mais au contraire, de valoriser toutes les espèces qu’on y trouve. » Christophe Hay propose ainsi vingt-cinq espèces locales tout au long de l’année, comme la brême, le goujon ou encore le chevesne, souvent boudé par les restaurateurs. « Grâce à Sylvain, j’ai acquis une vraie connaissance pour adapter ma carte. »

Cette observation du terrain le pousse à retirer un poisson pourtant emblématique de la Loire : l’anguille, un poisson en voie d’extinction. « C’est une catastrophe naturelle. On ne la travaille plus depuis quatre ans parce qu’on la voit disparaître. Le premier levier pour la préserver, c’est d’arrêter d’en manger ! On a commencé à dire que cette disparition était due aux Asiatiques et au braconnage, puis aux centrales électriques, puis au silure… pour moi, le plus grand prédateur, c’est le cormoran, un vrai fléau : il mange des anguilles toute la journée, il est insatiable ! » Le chef en appelle au sens des responsabilités de ses confrères dans la préservation de la biodiversité : « Ce qui me rend dingue, ce sont les chefs même parfois étoilés qui continuent à proposer des civelles, l’alevin de l’anguille… Laissez-les grandir ! »

Si l’anguille a été retirée de sa carte, un autre poisson y a fait une entrée remarquée : le silure, une espèce invasive qui a colonisé les cours d’eau français depuis les années 1980. Un poisson qui peut atteindre 2m80 et peser 140 kg. Son arrivée a modifié les écosystèmes et nuit à la biodiversité piscicole. « Pour moi, c’est le meilleur poisson ! Il est en abondance, donc on peut et il faut le consommer ! Il faut dire et redire aux chefs que c’est un poisson facile à travailler, avec une arête centrale comme le thon, un gros filet bien blanc et une chair similaire à celle de la lotte. Même à la maison, c’est très simple à préparer ! »

Dans une émission culinaire animée par le chef Mory Sacko, récemment diffusée sur France 3, Christophe Hay a partagé une de ses recettes à base de silure : depuis, ses clients viennent pour ça ! « Au début, ils me disent : « je n’aime pas les poissons d’eau douce ». Je leur explique, ils sont convaincus par ma pédagogie et ils apprécient ! C’est une grande fierté. Et quand je n’ai pas de silure à la carte, certains clients sont même déçus… »

Le restaurant dans lequel Christophe Hay accueille ses convives se situe désormais à Blois. Il s’agit d’un hôtel 5*, ouvert en 2022, qui abrite un restaurant gastronomique couronné de deux étoiles rouges et d’une étoile verte au Guide Michelin 2023. L’écrin accueille également une table plus accessible, Amour Blanc, ainsi qu’un kiosque à pâtisserie. Pour rénover cet hospice du 17e siècle, il décide de faire preuve d’une éco responsabilité très poussée (rénovation des chambres avec des matériaux recyclés, climatisation à eau en circuit fermé…). Il dispose également d’un hectare et demi en plein centre de Blois pour produire ses propres végétaux en permaculture. « C’est magique ! Nous sommes en autosuffisance sans pour autant nous fermer à de belles découvertes. Je ramène beaucoup de légumes, d’herbes de mes voyages… ». Dans son jardin d’expérimentation, le chef-paysan teste également des graines fournies par le Conservatoire des graines anciennes du Centre : « le but est de voir s’il y a un intérêt à les relancer. »

Pour réduire son impact environnemental, Christophe Hay cultive le « terroirisme », un terme qu’il préfère au locavorisme : « j’ai acquis un cheptel de bœufs Wagyu dont s’occupent des amis éleveurs dans une ferme du nord d’Angers. Les bêtes restent 24 mois en prairie puis sont nourries de graines de lin, massées, et écoutant de la musique pendant 12 mois. Lorsqu’elles partent à l’abattoir, on les fait passer tôt le matin pour éviter qu’elles ne ressentent le stress. »

Le chef s’approvisionne en porc (gascon) en Sologne, ainsi qu’en agneau. Son producteur ovin a redonné vie à une variété en voie de disparition (de 500 têtes, on est passé à 6 000 aujourd’hui). Et pour ses volailles, Christophe Hay s’est tourné vers une éleveuse de Touraine qui propose de la géline, une espèce ancienne. Le chef a récemment acquis une truffière de trois hectares, entre Blois et Cheverny. « Ma dernière recrue est une petite labrador, qui s’appelle Vicky », sourit-il.

L’intérêt de travailler à l’échelle locale ne se limite pas à éviter les émissions de carbone : cela permet également de réduire les emballages jetables. « Les producteurs nous livrent dans des bacs qu’ils récupèrent. »  En bout de chaîne, le chef a le même souci de d’impact zéro : il passe tous ses déchets (épluchures, os, arêtes…) dans un déshydrateur avec un broyeur intégré. Le substrat sert d’amendement à son potager.

Le chef applique enfin sa philosophie à sa relation aux hommes. Son établissement fonctionne sur un modèle de permaculture sociale. « J’essaie de ne pas mettre de barrières, notamment du point de vue des horaires. Mes équipes sont libres de gérer leur temps comme elles le veulent. La confiance paye : elles se fixent leurs propres barrières elles-mêmes. Chacun trouve sa place et évolue comme il a envie d’évoluer. »

Le chef est aujourd’hui aligné avec ses valeurs et ses engagements. Il invite ses confrères à redécouvrir leur environnement immédiat : « Peu importe où l’on se trouve en France, il suffit d’observer la nature pour trouver de bons produits. Arrêtons d’aller en chercher au bout du monde ! »